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Jean-Marc ROHMER, membre du GAPHE depuis 1977, a été mis à l’honneur dans la revue France Photographie N°278 (publiée par la Fédération photographique de France)

Le portfolio central de la revue, comprenant 16 pages brochées, lui était dédié.

Il faut dire que le sujet n’était pas banal : les photos de l’époque glorieuse de la sidérurgie de la vallée de la Fensch. Une immersion dans le spectacle des coulées de lave de l’acier en fusion, contrôlé par des sidérurgistes en habit aluminisé.

Voici le ressenti de l’auteur pour cette époque :

LES SIDERURGISTES DE SAINT NICOLAS

Les fondeurs de la Fensch

 Jusqu’aux années 90 le ciel de notre vallée, la nuit venue, rougissait à l’horizon et c’était magique. On disait aux enfants que Saint Nicolas cuisait ses pains d’épices que l’on pouvait déguster le 6 décembre de chaque année.

J’y croyais dur comme fer. Adulte et photographe de métier, je me retrouvais dans les usines sidérurgiques à devoir immortaliser les gestes de ces valeureux hommes de la fonte et de l’acier. Pour eux, comme pour moi, nous ignorions qu’ils étaient en train de vivre leurs dernières années d’activité. Ils étaient tous là dans leur manteau de protection en amiante, à leur labeur perpétuant avec précision des gestes sans cesse répétés, toujours proche du danger, au plus près des coulées de fonte à 1300° que vomissaient tous les hauts fourneaux de la vallée de la Fensch.

Le bruit, la chaleur, les fumées rougeoyantes créaient une ambiance volcanique, nul n’avait besoin de se retrouver au côté d’une coulée de lave, c’était pour eux du quotidien. Leurs « volcans » étaient des monstres d’acier et les faisaient vivre. Plus loin, à l’aciérie, avant de se transformer en métal, on séparait la fonte du laitier que l’on déversait au sommet de la colline du crassier pour en illuminer la nuit.

Ainsi, ces braves ouvriers exécutaient fièrement leur travail, les enfants pouvaient continuer à croire à Saint Nicolas.

LORFONTE

LORFONTE

SOLLAC

Interview de Jean-Marc ROHMER par Alain PRUVOT (dans France Photographie)

F.P. : Bonjour Jean-Marc. France Photographie a déjà eu le plaisir de publier – à plusieurs reprises – certains de vos travaux mais nos lecteurs vous connaissent davantage comme le photographe créatif des contes médiévaux aux images très élaborées que comme un photoreporter. Or, manifestement, votre série, même si elle est très esthétique, relève du reportage, non ?… Ou y a-t-il une autre dimension liée à votre vécu ? Avez-vous souhaité contribuer à forger la légende de ces ouvriers courageux et fiers ?

J-M.R. : Avant toutes choses, je dois remercier la rédaction du magazine France photographie de m’avoir choisi pour illustrer le Portfolio de décembre 2021. Effectivement, si les lecteurs me connaissent plus comme « conteur photographe » au travers de mes séries, celle de mes chevaliers médiévaux par exemple, les photos réalisées dans cet univers de feu et de coulée de fonte en fusion relèvent bien du reportage. Une partie de ma famille travaillait dans cet univers si particulier, mon père était soudeur, aussi, lorsqu’il me racontait dans quel milieu il exerçait sa tâche, mon imaginaire enfantin créait des décors fantastiques, fait d’ombres et de lumières rouges et vivantes comme celles que je voyais la nuit venue à l’horizon derrière les collines qui cachaient la vallée de la Fensch. Oui il existait une légende bien réelle d’hommes valeureux, courageux et fiers de ce qu’ils produisaient que j’ai découvert bien des années après grâce à mon métier de photographe.

F.P. : Dans quelles circonstances avez-vous été amené à réaliser ce reportage ?

J-M.R. : Il faut dire d’abord qu’en 1984 la société Sollac (ArcelorMittal), de par mes bons résultats de photographe amateur et toujours adhérent du GAPHE, est venu me chercher pour me demander si, par hasard, je ne voulais pas devenir un photographe employé à plein temps. J’y suis resté jusqu’en 1986. A partir de cette année-là et jusqu’à ma retraite j’ai exercé le métier de photographe industriel et publicitaire. C’est dans ces conditions que j’ai très souvent réalisé de vrais reportages, dont celui-ci, dans toutes les installations sidérurgiques que je devais connaitre par cœur.

F.P. : On ne peut qu’être frappé en regardant vos images par le décor fascinant des hauts-fourneaux, de l’acier en fusion. Quel regard avez-vous porté en tant que photographe sur ce monde de la sidérurgie ?

J-M.R. : Effectivement, tous les photographes que j’ai vus et emmenés dans cette partie, où les hauts fourneaux crachaient à intervalles réguliers cette fonte en fusion comme la lave d’un volcan, ne pouvaient qu’être fascinés devant ce tableau Dantesque. Mon regard devait absolument refléter tout ce labeur, toute cette ambiance pour un public extérieur complètement étranger qui empruntait la route longeant les usines de la vallée où tous les villages terminent leur nom par « ange ».

F.P. : Comment vous y êtes-vous pris pour approcher ces hommes – ces « valeureux hommes de la fonte et de l’acier » comme vous les appelez – dans un environnement tout de même assez périlleux et réglementé ?

J-M.R. : Photographe officiel de Sollac je pouvais disposer comme je voulais des accès sur les installations, beaucoup de gens me connaissaient, ce qui me facilitait les approches. En plus, pour la plupart, ils étaient fiers de partager au travers de la photographie tous ces gestes parfois périlleux et réglementés, car les fautes pouvaient engendrer de graves accidents.

F.P. : Ce monde semble aujourd’hui révolu. De quoi avez-vous souhaité témoigner ?

J-M.R. : Non seulement ce monde de la vallée de la Fensch est révolu, mais en plus, il est mort. Aujourd’hui, ces monstres d’acier sont tous éteints. Ils ne respirent plus, ils ne fument plus et la nuit ne reflète plus la couleur rouge qui faisait croire aux enfants que Saint Nicolas cuisait les pains d’épices pour le 6 décembre. J’ai donc voulu témoigner d’un monde qui a fait vivre, pendant plus d’un siècle, des dizaines de milliers de personnes.

F.P. : Quel accueil vous a été réservé par les ouvriers ?

J-M.R. : Dans chaleureux il y a chaleur, et la chaleur était le quotidien des hommes de la fonte et de l’acier. Rajoutez à cela de la convivialité et vous aurez un aperçu du ressenti que je percevais dans ces moments-là.

F.P. : De quelles précautions avez-vous dû vous entourer pour réaliser votre série ?

J-M.R. : Du fait d’un environnement périlleux, j’étais obligé de vêtir cette lourde « armure » faite d’amiante qui me protégeait de la chaleur et d’éventuelles projections, plus un casque, des lunettes de protection (que j’enlevais malgré tout) et une paire de chaussures de sécurité. J’étais alors comme eux, un fondeur travaillant aux pieds de ces géants ventrus.

F.P. : Techniquement, comment avez-vous procédé pour effectuer vos prises de vue, compte tenu d’un très fort contraste de lumière, semble-t-il.

J-M.R. : Avec ma cellule à main, je devais calculer le meilleur ratio des hautes et basses lumières, sachant que je faisais très souvent un essai avec un dos Polaroid, fixé à l’arrière de mon appareil photo qui me livrait une idée de l’exposition optimale. Le tout, bien fixé sur un solide trépied car la vitesse d’exposition était relativement basse.

F.P. : Quel matériel photographique avez-vous utilisé ? S’agit-il d’un travail intégralement numérique ou avez-vous scanné des photos argentiques – négatifs ou diapositives ?

J-M.R. : Nous sommes alors dans les années 80/90, le numérique n’existait pas, mon Hasselblad 500/CM et mon Nikon F4 m’accompagnaient. La majeure partie de ces photos ont été réalisées avec du film négatif couleur (400 iso) du fait d’une latitude de pose plus importante que l’EKTACHROME EPD 200 que j’utilisais dans d’autres circonstances et que je développais moi-même.30années plus tard, je scannais ces films sur mon excellent Nikon super coolscann 8000 pour les travailler avec Photoshop.

F.P. : À votre avis, pourquoi voit-on aussi peu de travaux photographiques consacrés au monde industriel, j’entends de regards d’auteur de qualité artistique ?

J-M.R. : Le monde industriel à mon avis se prête difficilement à un regard d’auteur de qualité artistique. Peut-être que les mots industriel et artistique se mélangent difficilement et l’on verse alors rapidement dans le mode du reportage. Ici, c’est peut-être parce que cet univers sidérurgique a disparu, qu’une certaine nostalgie peut transformer l’industriel en artistique.

F.P. : Quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs et notamment aux jeunes générations qui n’ont pas connu cette époque ?

J-M.R. : Le monde change, il est à refaire tout le temps, il appartient à la jeunesse de renouveler les conditions de la vie, même si cette époque de fonte et d’acier leur est inconnue. René Char écrivait « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament »

Voici la présentation du Portfolio par France Photographie :

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